20 octobre 2008
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Université Pierre et Marie Curie - Paris 6
Institut des Sciences de la Terre Paris (iSTeP) - UMR 7193 UPMC-CNRS Case 124
Tour 46-00, 2 ème étage
4, place Jussieu
75252 Paris Cedex 5 - France
--------
Tel: 01 44 27 52 08
Email: jacques.bourgois@upmc.fr
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Un nombre croissant de pays en voie de développement accèdent ou vont accéder dans les années qui viennent au nucléaire civil. Cette évolution appelle une réflexion sur les procédures internationales et les solutions techniques actuellement en vigueur pour la gestion des déchets. L' «Entreposage Géologique Profond » par le pays producteur du déchet ne peut plus être considéré comme le meilleur moyen de protection environnementale à long terme. Cette solution, aujourd’hui adoptée par tous, est obsolète. Elle repose sur des règles de sécurité très différentes d'un pays à l'autre fondées sur un rapport très ancien de l’Académie des Sciences Américaine. Ce rapport qui date de 1957 proposait également l’abandon de la solution d’un entreposage dans les grandes fosses océaniques, alors qu'il manquait encore une décennie pour que naisse la «Tectonique des Plaques». L’intérêt environnemental potentiellement considérable, d’un entreposage dans ces fosses et les progrès scientifiques et techniques de ce dernier demi-siècle imposent une réévaluation des conclusions de l'Académie des Sciences Américaine. Les grandes fosses océaniques d’échelle planétaire sont en effet l’expression morphologique de l’un des deux processus majeurs de la « Tectonique des Plaques » : la « subduction ».
Le processus de subduction associé au recyclage des sédiments et des basaltes du plancher océanique dans le manteau terrestre présente la perspective crédible d’une élimination définitive des déchets nucléaires ultimes.
Aujoud'hui des difficultés apparaissent dans la mise en oeuvre de l'entreposage sur le territoire national. En 2009, l'administration Obama abandonnait cette solution, prévue de longue date sur le site de Yucca Mountain au Nevada. En 2016, une solution pérenne n'est toujours pas envisagée aux Etats Unis. En France, la mise en service expérimentale du site d'entreposage de Bure (Meuse, Haute Marne) par l'ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des déchets Radioactifs) a rencontré de grosse difficultés et une farouche opposition des écologistes locaux. Un entreposage effectif est envisagé pour 2025!
Les avantages d'un entreposage dans les grandes fosses océaniques qui présentent comme intérêt essentiel l'élimination (Bourgois, 1996) devraient être ré-examinés aujourd'hui. Un grand programme international pourrait ouvrir sur une solution pérenne beaucoup plus sûre à l'échelle globale.
Le rejet massif de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, la perspective d’un épuisement des énergies fossiles, la fusion thermonucléaire non encore disponible et le caractère limité de la production à partir des énergies dérivées de l’activité solaire sont parmi les éléments d’une prise de conscience récente. Après plusieurs décennies d’utilisation, l’électronucléaire apparaît aujourd’hui capable de répondre rapidement à une demande mondiale croissante tout en respectant au mieux la qualité de notre environnement. L'électronucléaire est une source d’énergie abondante et fiable. Seule son expansion massive permettra de répondre à la demande en électricité du monde en développement tout en maintenant la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone à son niveau actuel. Pour inverser la tendance et revenir à des concentrations « acceptables », certains considèrent comme nécessaire et urgente la mise en service de 1500 à 4000 centrales (Physics Today, Science). Quoi qu’il en soit, une augmentation très importante du nombre actuel (450) de réacteurs civils en service dans le monde est prévisible.
Les techniques de réutilisation du combustible nucléaire, proposées dans le cadre du « Global Nuclear Energy Partnership » signé par 21 nations dont la France devraient, à terme, optimiser le volume des déchets ultimes. Cependant, la multiplication des centrales à l’échelle planétaire conduira inéluctablement à une augmentation du volume des déchets. Ainsi le DOE américain envisage dès maintenant l'aménagement d'un second site d’entreposage pour simplement répondre à la revitalisation de l’industrie nucléaire civile américaine; alors même que le premier site de Yucca Mountain (Nevada) n’est pas encore entré en service. L’entreposage et l’élimination des déchets nucléaires est une préoccupation environnementale majeure.
L’entreposage des déchets nucléaires dans des conditions acceptables de sécurité pour l’homme et son environnement est une préoccupation nationale et internationale déjà ancienne. « L’ Entreposage Géologique Profond » répond à cette préoccupation. Il est aujourd’hui considéré par les nations développées comme le meilleur moyen de protection à long terme. En France et aux Etats-Unis, les travaux d'évaluation sont dans la phase avancée d’une mise en oeuvre préindustrielle.
Les premières recommandations d’un « Entreposage Géologique Profond » des déchets nucléaires ont été faites par l’Académie des Sciences Américaine, dans un rapport effectué en 1957. Par la suite, ce rapport a servi de base pour la rédaction du « National Nuclear Waste Policy » voté par le Congrès américain en 1982. Au milieu des années 90, les pays ayant une production significative d’électricité nucléaire ont pris l’engagement d’entreposer les déchets qu’ils produisent sur leur propre territoire. C’est dans ce contexte, que la France a défini la mission de l’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs) dans une loi votée le 30 décembre 1991. Les attendus de sécurité publique et d’environnement de cette loi sont voisins de ceux qu’adoptait le Congrès américain en 1982. La solution « Entreposage Géologique Profond » s’imposait également du fait d’accords internationaux (signés ultérieurement par la France) qui interdisent l’entreposage des déchets nucléaires en milieu océanique. "L'Entreposage Géologique Profond" est une solution dont la mise en œuvre bénéficié aujourd'hui d’investissements importants ; il possède un arrière-plan scientifique finalisé solide qui s’appuie sur la loi et une armature technocratique solide. C'est une "institution" puissante dont la remise en cause paraît insurmontable, mais pourtant nécessaire car dangereuse en bien des aspects.
Les accords internationaux actuels et le développement prévisible de l’électronucléaire conduiront inéluctablement à une multiplication des sites « d’Entreposage Géologique Profond » avec une vaste répartition latitudinale sur les cinq continents. Cette situation présente de graves incertitudes au premier rang desquelles il faut compter la diversité des procédures locales de sécurité et l’éventail de fiabilité des solutions mises en œuvre sur chaque site. La grande variabilité de la géologie locale des sites retenus et l’évolution climatique à long terme (plusieurs millénaires) des zones d’implantation font également partie des impondérables. Qu’adviendrait-il d’un site « d’Entreposage Géologique Profond » s’il se trouvait recouvert de quelques kilomètres de glace comme cela est arrivé plusieurs fois par le passé (4 fois en 500000 ans) pour des pays comme la Finlande, la Suède ou le Canada par exemple. Il faut également compter avec la variation du niveau de la mer, conséquence de la fixation des glaces aux pôles avec une baisse eustatique de 120 m à 140 m pour les deux dernières périodes glaciaires (il y a seulement 20000 ans et 130000 ans). La baisse du niveau de la mer induit en effet une variation du niveau de base du réseau hydrographique mondial (les rivières sur creusent leur lit) avec un enfoncement corrélatif de la nappe phréatique. Quelle serait l'évolution des paramètres physiques et chimiques actuels pour un site d'entreposage pris dans la tourmente de tels évènements planétaires? Une prévision d’évolution fiable pour chacun des sites « d’Entreposage Géologique Profond » de la planète relève de la pure spéculation.
Les problèmes potentiels de la solution « Entreposage Géologique Profond » et les avancées scientifiques des dernières décennies justifient de reprendre l’évaluation de solutions écartées par le passé. C’est le cas de la solution d’un entreposage dans les « Grandes Fosses Océaniques », abandonnée voilà un demi-siècle alors que la « Tectonique des Plaques » n’était pas encore née. Cette solution doit être à nouveau évalué à la lumière de progrès scientifiques et techniques considérables après plusieurs décennie d'investigations nationales et internationales comme les programmes DSDP (Deep Sea Drilling Project) et ODP (Ocean Drilling Program) en particulier. Les grandes fosses océaniques d’échelle planétaire sont en effet l’expression morphologique de l’un des deux processus majeurs de la « Tectonique des Plaques » : la « subduction ». De plus, la solution «Grandes Fosses Oceaniques/Subduction » ouvre la perspective d’une élimination définitive des déchets nucléaires ultimes.
La subduction associée à la disparition de surface terrestre, est l’un des deux processus majeurs de la tectonique des plaques. Cette disparition compense la création de surface nouvelle par accrétion le long des reliefs montagneux sous-marins de la dorsale médio océanique. Ce fonctionnement dynamique de la planète permet un renouvellement continu des fonds marins. Au niveau des grandes fosses océaniques (60000 Km), expression morphologique de la subduction, le plancher sous-marin (lithosphère océanique) et les sédiments de sa couverture sont emportés vers les profondeurs du manteau terrestre (asthénosphère). Une portion de la surface terrestre disparaît au rythme de la création au niveau de la dorsale. Les vitesses d’écartement (dorsales océaniques) et de convergence (subduction) entre les plaques tectoniques sont mesurées aujourd’hui avec une grande précision grâce au GPS. Elles varient typiquement du cm à la dizaine de cm.
De fait, la subduction apparaît comme un puits naturel. Lorsque le matériel sédimentaire de la fosse océanique et son soubassement crustal (lithosphérique) entrent en subduction, ils disparaissent définitivement. Ils sont entraînés vers le manteau terrestre avec comme devenir un recyclage dans la grande machine convective asthénosphérique. L’idée d’une utilisation de la subduction comme moyen d’entreposage et d’élimination définitive de déchets anthropiques, au premier rang desquels les déchets nucléaires est ancienne. Elle avait été réactivée (Bourgois, 1996) à la lumière des progrès scientifiques des années 80-90.
En 1957, parmi les solutions d’un entreposage ou d’une élimination possible des déchets nucléaires, l’Académie des Sciences Américaines avait en effet examiné, et rejeté, l’utilisation possible des grandes fosses océaniques. En regard des connaissances du moment, la tectonique des plaques n’était pas encore née, cette recommandation était fondée. Victor Vacquier (1907-2009) ne découvrait en effet le modèle d'organisation magnétique des fonds marins du Pacifique que vers la fin des années 50. Et c'est vers la fin des années 60, après la découverte de l’expansion océanique par Vine et Matthews (1963) que la théorie unificatrice de la tectonique des plaques (Mckenzie et Parker, 1967 ; Le Pichon, 1968) était proposée. Le concept de subduction était rapproché de l’identification sismique de la zone de Benioff.
Au cours des années 70, on associait le concept de convergence de plaques et de subduction à celui de compression tectonique. Il était envisagé que le matériel entrant en subduction (plaque tectonique inférieure) était progressivement incorporé à la bordure continentale (plaque tectonique supérieure) pour devenir à terme, pensait-on, une chaîne de montagne. Les sédiments de la fosse océanique (partie supérieure de la plaque tectonique inférieure) soulevés avaient pour destin l’émersion, et l’exposition aux agents de l’érosion. La décision du Congrès Américain, dans la loi votée en 1982, de ne pas utiliser les grandes fosses océaniques et le processus associé de subduction pour l’entreposage des déchets nucléaires, était toujours justifiée.
Une avancée significative dans la compréhension du processus de subduction est intervenue au cours du début des années 80 avec un découplage des concepts de convergence des plaques et de compression de leurs bordures. La subduction de la fosse d’Amérique Centrale au Guatemala montrait que la convergence de la plaque des Cocos avec la plaque Caraïbes était associée à une marge continentale (bord de la plaque supérieure) en tension (Aubouin et al., 1982 ; Aubouin et al., 1984 ; Bourgois et al., 1984). On découvrait que ce régime tectonique était l’expression superficielle d’une usure de la base de la plaque supérieure (subduction-érosion). Au lieu de se soulever, la bordure de la plaque supérieure s’affaisse (Bourgois et al., 1984). Dans certaines conditions, on sait maintenant que le matériel de la plaque plongeante (plaque tectonique inférieure) est emporté dans sa totalité vers le manteau terrestre avec une partie de la base de la plaque supérieure.
L’imagerie géophysique permet aujourd’hui un accès plus direct aux propriétés physiques de la zone d’interface entre les plaques (chenal de subduction et zone sismogène plus profonde). La modélisation analogique et numérique permettent une certaine prédiction du comportement des roches du bord de la plaque supérieure dans le cycle sismique de la subduction (Wang et Hu, 2006). Les migrations de fluides sont évaluées, identifiées, observées, prélevées. Les interactions complexes de ces fluides interstitiels sous pression avec les minéraux des roches poreuses sont analysées. Les circulations océaniques sont mieux connues. Un ensemble considérable de données publiées dans les meilleures revues scientifiques est disponible.
Un risque de retour vers la surface du matériel entraîné par subduction existe cependant. En général, un arc volcanique est génétiquement associé à la subduction. Après un parcours de 150 à 250 Km dans le manteau, le matériel fond. Il peut alors être réinjecté dans l'atmosphère par éruption volcanique. Pour une subduction rapide comme celles du sud-ouest Pacifique, les isotopes cosmogéniques du béryllium montrent que le cycle complet d’une éventuelle réinjection est d’environ 800 000 ans. En général la durée totale du transit est supérieure au million d’années. Cependant certaines subductions, comme au Pérou, ne présentent pas de volcanisme actif (depuis 20 Millions d'années ou plus). En ces endroits privilégiés, peu nombreux, la possibilité d’un retour vers la surface avec risque d’une pollution atmosphérique n’existe pas.
Outre la potentialité d’une élimination définitive des déchets nucléaires ultimes, la solution "subduction" présente des avantages. Le milieu océanique profond (6000 m ou plus) montre une grande stabilité avec de faibles variations locales de température et de qualité des eaux au cours du temps. Le fonctionnement du processus de subduction présente également une stabilité à l’échelle locale et régionale pour certaines d’entre-elles. Les vitesses de convergence (subduction) entre les plaques tectoniques sont mesurées aujourd’hui avec une grande précision grâce au GPS. Elles sont compatibles avec les produits radioactifs à très longue vie qui nécessitent un temps de résidence prolongé. Les moyens géophysiques et de prélèvement existent qui permettraient une étude fondamentale détaillée de quelques sites favorables où des études plus finalisées pourraient être engagé par la suite.
Le caractère international des enjeux énergétiques et de sécurité et le cadre du « Global Nuclear Energy Partnership » devraient placer d’emblée la démarche sous les auspices d’Organismes Internationaux. Les grands organismes nationaux (DOE, ANDRA, pour ne citer que les Etats-Unis et la France) et les entreprises internationales du secteur sont également des partenaires qui devraient s’imposer. Un usage international partagé doit être envisagé d’emblée pour le ou les quelques sites qui seraient sélectionnés. Leur petit nombre permettrait un contrôle plus efficace, à l’abri d’interventions malveillantes. Par ailleurs, l’élimination des déchets par subduction n’est pas exclusive d'autres solutions comme « l’Entreposage Géologique Profond » probablement plus adapté pour des déchets faiblement radioactifs à courte durée de vie.
Bourgois Jacques, 1996, Un processus naturel pour éliminer définitivement les déchets nucléaires, Réalités Industrielles, Annales des Mines, janvier 1996, p. 5-12.